Le nouvel an chinois et l’avènement de l’année du rat s’annonçaient pourtant bien. La situation politique à Hong Kong semblait avoir retrouvé un peu de calme, et après avoir eu un peu froid au Népal pendant les vacances de noël, nous avions prévu d’avoir bien chaud en passant quelques jours en Malaisie. Ensuite, il s’agissait d’alterner entre des semaines à profiter de Hong Kong pour emmagasiner des souvenirs et des vacances dans la région : Tibet, Yunnan, Mongolie… Mais c’était compter sans l’invité surprise de ce début d’année : le grand méchant coronavirus. Les choses ont commencé à chauffer quelques jours avant les vacances du nouvel an et notre départ pour la Malaisie. La tension était visible à l’embarquement pour Penang et, même si on est habitué à voir des gens porter des masques pour un oui ou pour un non, il était tout de même saisissant de voir tous les passagers d’un avion cachés sous un masque. Peu de jours après, deux universités de Hong Kong ont annoncé une suspension des cours pendant deux semaines après les vacances. Elles ont été très vite suivies par toutes les autres, forcément. Il y a une logique là-dedans car les facs de Hong Kong accueillent beaucoup d’étudiants de Mainland, dont la plupart habitent en cité-U sur les campus, où l'on n'a guère envie de voir se propager un virus. Puis, très vite, la terrible nouvelle est tombée. Celle qu’on redoutait, qu’on disait espérer éviter même si on savait pertinement qu’on n’y échapperait pas : l'infernal et kafakaïen Education Bureau a annoncé la fermeture de toutes les écoles jusqu’à la mi-février. La fermeture du mois de novembre pour cause d’émeutes nous avait laissé un souvenir assez pénible (c'est raconté ici et dans les billets suivants). Etre enfermés dans l'appartement avec les enfants, devoir leur faire l’école à la maison sans possibilité d’aller travailler au bureau, passer son temps à scruter les infos pour savoir si l’école ré-ouvrira ou non le lendemain… c’était pas drôle. Là, on en prenait pour deux semaines d’un coup. La déprime. D’autant plus, qu’on savait bien qu’il ne fallait se laisser berner par le semblant de retenue de l'implacable Education Bureau : il était évident qu’on allait pousser la fermeture au moins jusqu’à la fin du mois… ce qui n’a pas tardé à être annoncé quelques jours plus tard, avec une fermeture jusqu’à la début mars. Et, là encore, on savait que la probabilité était grande qu’on irait plus loin. Bingo ! hier, on a encore ajouté deux semaines. La fermeture des écoles va donc durer jusqu’au 16 mars… mais on vous parie une demi-douzaine de dim sum qu’on ira au moins jusqu’à la fin mars. Comme du 1er au 15 avril c'est les vacances de Paques au lycée français, on parle tout de même de 3 mois de fermeture d'école. La fermeture des école, on s’en doutait dès les premières infos arrivant de Wuhan. Chaque année ou presque, les écoles ferment une semaine pour tenter d’enrayer la grippe hivernale. Alors il était certain que l'insensible Education Bureau n’allait pas laisser passer une si belle occasion. Plus généralement, à Hong Kong, la peur des maladies infectieuses fait partie du paysage et il n’est pas besoin de vivre longtemps ici pour la découvrir. Le musée de médecine (un peu nul, mais dans un très joli bâtiment colonial en briques rouges) y consacre d’ailleurs une grande partie de son espace. Depuis les tous premiers temps de son développement économique et urbain, Hong Kong a toujours été un lieu de très forte densité et de migrations incessantes. La peste de la toute fin du XIXe siècle a marqué les esprits, ainsi que les craintes d’épidémie massives liées à l’arrivée (et l’entassement dans des bidonvilles) de chinois n’ayant pas bien perçu tous les bienfaits du grand bond en avant ou de la révolution culturelle. Et puis, il y a bien sûr le SRAS. A l’hiver 2002-2003, la maladie est apparue à Canton, mais a été très tôt importée à Hong Kong qui est devenu un des foyers importants de l’épidémie. Au final, le palmarès de ce méchant coronavirus de 2003 n’est pas si époustouflant : 1 600 cas à Hong Kong et 204 morts. Mais la ville a été mise sous cloche, avec beaucoup d’interdictions de déplacement, ce qui a fortement marqué les esprits. C’est peu dire. Il nous est très souvent arrivé d’avoir entendu des hongkongais (ou des expat vivant ici depuis longtemps) nous parler de cette épidémie, pourtant vieille de près de 15 ans, avec des trémolos dans la voix. « Oh, tu sais, depuis le SRAS, ils désinfectent régulièrement », « lui, il est riche : il a investi un paquet au moment du SRAS, quand l’immobilier était au plus bas », « Oui, avec les émeutes, l’activité économie ralentit un peu, mais rien de comparable avec le SRAS », etc… Bref, on avait le sentiment d’être de la bleusaille : si t’as pas connu le SRAS, tu connais pas vraiment Hong Kong. Bon, et bien sur ce coup là, on y est. Donc, nous étions là, en vacances en Malaisie quand les nouvelles des fermetures en cascade sont arrivées. La situation génère un brainstorming général tout autour de nous. Faut-il ne rien faire et attendre que ça se passe ? Faut-il se rapatrier définitivement ? Faut-il envoyer les enfants chez les grands-parents où l’air est plus sain et les adultes plus disponibles ? Faut-il prolonger les vacances et regarder tout cela de loin ? Les forums WhatsApp ont pas mal chauffé. Nous, nous avons opté pour la dernière solution. En quelques clics, on a changé notre vol de retour et réservé des hôtels pour rester en Malaisie dix bons gros jours de plus. Finalement, pourquoi s’encombrer de bagages : on peut très vivre deux semaines avec un short et trois T-shirt par personne. Bien sûr, ce n’était pas vraiment les vacances. Il fallait qu’on fasse semblant d’être en télétravail à Hong Kong et il fallait faire l’école aux enfants. Sur ce coup, le Lycée français a mieux réagi qu'en novembre. Chaque prof a du préparer des cours et des exercices en ligne pour que les élèves puissent travailler. Certains font ça plutôt bien, avec des leçons très claires suivies d’exercices, le tout parfaitement organisé de façon que l’enfant soit aussi autonome que possible. D’autre le font beaucoup moins bien, en balançant un fatras de documents avec des noms absconds dans des formats divers. Les conditions de travail n’étaient pas idéales : un seul ordinateur, pas d’imprimante et pas même de cahier avec des carreaux Seyes, cet indispensable fleuron du savoir-enseigner à la française. On a tout de même passé de bons moments, à faire des dictées et des calculs, assis à la table de la cuisine de nos airbnb de fortune ou installés sur les terrasse des hôtels plus confortables. Cette période était aussi marquée par une forte incertitude. La progression de l’épidémie était rapide et semblait n’être dépassée que par celle des mesures de protection : confinement de villes chinoise, mises en quarantaine, fermetures de liaison aériennes, annulation d’évènements (concerts, expos, entrainement de rugby, etc, une à une les activités qui structuraient notre vie hongkongaise sont tombées – on suivait ces annonces sur nos téléphones avec le sentiment d’impuissance des généraux en déroute listant les bataillons perdus). Notre principale crainte concernait la fermeture des liaisons aériennes. Et si la Malaisie, comme le Vietnam ou les Philippines, coupait les ponts avec la Chine et Hong Kong ? On ne peut quand même pas rester là. Et si on rentre en France et que la mère patrie, comme les Etats Unis ou l’Australie, stoppe les avions ou impose une quarantaine à tous ceux qui arrivent de Chine ? Les enfants ne pourraient pas aller au ski et Sandra ne pourrait pas aller faire cours en France et en Egypte. L’une des bonnes nouvelles a été la décision du gouvernement de Hong Kong de fermer sa frontière avec la Chine. C’était important pour freiner l’arrivée de l’épidémie à Hong Kong, mais surtout à nos yeux, pour que le monde entier puisse dissocier Hong Kong du reste de la Chine. Après tout, dans l’état des choses, peu importe qu’un milliard et demi de chinois soient assignés à résidence, tant que nos petites personnes ne subissent pas le même sort. Cette histoire de fermeture de frontière était d’ailleurs assez intéressante à suivre. La pression pour le faire était forte. D’un côté les « pro-démocratie » y voyaient autant une mesure de bon sens qu’une source réjouissante de china-bashing. De l’autre, les « pro-establishement » avaient à cœur, après leur déculottée aux élections de novembre, de brosser l’électorat dans le sens du poil en démontrant qu’ils se préoccupaient d’avantage des problèmes concrets des hongkongais que d’obéir aux injonctions de Pékin. Mais le gouvernement de Hong Kong était quand même bien embêté : comment fermer cette si sensible frontière sans froisser le tout aussi sensible maître de Pékin ? Alors, ils ont fait ça à la chinoise : en le faisant sans dire ce qu’ils faisaient tout en étant bien conscient que tout le monde savait qu’ils le faisaient. Après tout, l’important est de ne pas perdre la face. Ils ont donc fermé doucement le robinet, en interdisant les transits dans une moitié des points de passage. Puis, deux jours après, ils ont fermé les autres postes frontière, sauf deux pour laisser passer les marchandise. Puis, ils ont imposé une quarantaine de 15 jours à tous ceux qui viennent de Chine. Ainsi, c’est pas fermé, mais charge à celui qui veut venir de Mainland de trouver un moyen de venir et de s’enfermer deux semaines chez lui ou dans son hôtel. Ceux-là se préparent à monter dans l'avion pour rentrer à Hong Kong Après cela, la situation a semblé trouver un point d’équilibre, et nous sommes rentrés à Hong Kong. De toute façon, on ne pouvait pas vivre deux mois à l’hôtel et il fallait bien que les adultes se montrent à leur travail. On a retrouvé un Hong Kong très calme, bien sûr. Mais pas totalement fermé. Côté enfants, on a gagné en productivité en récupérant ordinateurs et imprimantes (sans oublier les carreaux Seyes). Sandra a fait un programme aux petits oignons. En gros, on passe nos matinées à la maison à faire les devoirs : l’un avec Pierre, l’autre avec les deux grands. L’après-midi les adultes vont travailler et on se débarrasse des mômes soit avec une playdate, soit un cours de tennis, soit – pour les deux grands – un cours de voile. Ils avaient déjà fait un stage d’optimiste l’été dernier et avaient bien aimé. Maintenant, il fait un vrai temps de breton, mais ça n’entame pas leur enthousiasme. Ils vont finir en vieux loups de mer. Pour l’instant, ça se passe bien. L’ambiance est bonne et les enfants travaillent à peu près correctement. Bon, bien sûr, on a mis la pédale douce sur l’anglais et complètement passé à la trappe les cours de mandarin. On a même l’espoir d’arriver à débloquer Pierre, qui bute encore pas mal sur la lecture (il faut dire que les deux autres étaient, pour leur CP, aux petits lascars dans des classes de 10 élèves, alors que lui doit batailler en classe bilingue entre le français et l’anglais – il patauge un peu). Pierre a même droit à quelques cours particuliers avec une maîtresse qui lui fait faire une partie de ses devoirs dans un café de l’ile de Hong Kong. Pour le reste, la vie à Hong Kong est ralentie, mais pas inexistante. Les gens vont et viennent, et semblent vivre plus ou moins normalement… à ceci près qu’ils portent tous des masques chirurgicaux. Enfin, pas tous : quelques uns – généralement les « western » -, dont nous, se baladent encore fièrement le nez à l’air. C’est assez impressionnant ces visions dystopiques, et ça va tellement bien à l’univers de Hong Kong qui a déjà, en temps normal, des airs de film de science-fiction dépressif. D’ailleurs, dans le genre dystopique, je suis accro à ce site gouvernemental (ici) : on peut y suivre en direct le nombre de cas suspects, le nombre de cas, confirmés, le nombre de morts… Mieux, on y voit la localisation précise de la résidence des malades, et de ceux qui sont en quarantaine. Dingue ! Aujourd’hui, on en est à 56 cas confirmés à Hong Kong. C’est 0,00075% de la population. Mais ça monte… et tant que ça monte, ça veut dire que l’épidémie est là et que les écoles et les universités ne vont pas rouvrir. Mon site internet préféré du moment
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C'est nousOn est 5 et on quitte Ménilmontant pour Hong Kong Catégories
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