C'est bientôt le premier octobre. Il y a 70 ans, le Parti Communiste Chinois fondait la République Populaire de Chine. Toute la Chine se prépare donc à fêter cela avec faste. Toute? Officiellement oui... mais le petit village des irréductibles hongkongais résiste encore et toujours. Les jeunes qui manifestent depuis le printemps dernier ne baissent pas les bras. Toutes les semaines (notamment les vendredis, samedis et dimanches soir), on a ici où là des manifestions en petits groupes et des actions flash, souvent violentes maintenant, avec quelques cocktails Molotov, dégradation de caméras de surveillance ou de machines à distribuer les tickets de métro, et bagarres. Il y a aussi des actions ponctuelles plus rigolotes, comme l'engorgement volontaire des sites de réservations et des accès des restaurants dont les entreprises propriétaires ont trop fièrement proclamé leur attachement à la mère patrie. Be water... Surtout, ces derniers jours, sans doute en préparation de la fête nationale, le ton des manifestants a sensiblement changé. On voit moins de messages et affiches poétiques et moins d'appels à des thèmes purement hongkongais. A la place, des messages plus agressifs, des affiches plus violentes et la montée très nette de discours pro-démocratie et anti-PCC. Carrie Lam (la cheffe de Hong Kong) a finalement décidé de tenter d'aplanir les tensions en commençant enfin à discuter. Ce soir, elle a rendez-vous dans un stade pour papoter avec 150 hongkongais tirés au sort. La version locale du "Grand Débat" en somme. Petite conséquence pour nous : les activités extra-scolaires du lycée français ont été annulées afin que les enfants rentrent avant le début de ce raout et que les bus ne soient pas entravés par les éventuelles manifestations. Conséquence pour Hong Kong : peut-être pas grand chose non plus. Vu que le débat tend à se désintéresser de Carrie Lam et des problèmes locaux, pour se porter davantage sur une contestation du pouvoir Chinois et des appels à la démocratie, il n'est pas certain que cette médiation suffise à rabattre l'ardeur des manifestants. Bref, le programme des festivités a été réduit au minimum cette année (pas de feu d'artifice !), et chacun fourbit ses armes. Les appels à manifester tout ce week end se multiplient avec beaucoup de mots d'ordre contre la dictature Chinoise et Xi. Le (bien peu délicat) slogan "Chinazi" est vite devenu viral mais Sandra, qui suit cela de près, vient de me dire que des appels se multiplient au sein du mouvement pour arrêter de l'utiliser - comme on le sait, il n'est jamais malin d'être le premier à passer le point Godwin. Cette montée en puissance des discours anti-totalitaires raisonne sans doute un peu différemment à nos oreilles abreuvées de médias français. Elle donne aussi matière à repenser un peu certains discours qui font le beurre les éditorialistes. A la fois les discours Lepeno-Giletjo-Melanchonistes qui laissent entendre que la France glisse vers la voie de la dictature avec justice aux ordres, médias contrôlés, et élus non-représentatifs. Mais aussi ceux des jupiteriens, qui nous décrivent la France comme une pseudo-rebelle un peu paumée qui rêve secrètement qu'un roi-président tout en verticalité virile vienne la prendre à la hussarde pour l'emmener vers des avenirs radieux. Comme vous pouvez l’imaginer, nous n’avons pas trouvé beaucoup de monde au sein de la communauté des expats français, pour soutenir sans réserve les gilets jaunes. On n’en trouve pas non plus beaucoup pour critiquer vertement le mouvements de protestations à Hong Kong. Et pourtant, en apparence, les points communs entre les gilets et les parapluies jaunes sont nombreux et il est tentant de comparer les deux révoltes. Des mouvements longs avec des rendez-vous régulier, une exaspération qui conduit à la violence, une vive répression policière (plutôt moins forte à HK qu’en France) et juridique (beaucoup plus forte à HK qu’en France), un rejet des dirigeants et du « système », un fond identitaire, une tendance à la nostalgie "c'était-mieux-avantiste", la volonté d'être mieux écouté par les leaders, et d'être mieux représentés par les institutions, des appels au peuple et à la vraie démocratie, etc. Mais il y a aussi beaucoup de différences entre les deux mouvements. Et elles sont fondamentales. Les protestataires, ici, sont plus jeunes et plus éduqués. Mais surtout, le mouvement est largement indemne de scories populistes et de tendances autoritaires. Il est moins révolutionnaire, dans le sens où il ne cherche pas à scinder la société en groupes dominants/dominés pour renverser l’ordre social et politique. Personne ne cherche à constituer un groupe qui représenterait le « peuple » de Hong Kong pour prendre le pouvoir à ceux qui le détiennent. Il y a juste une population qui souhaite avoir le droit de choisir qui le détiendra. Les médias et la justice, qui ne sont pourtant pas tendres avec eux, ne sont pas intrincèquement les ennemis des protestataires car ces derniers savent l’importance de l’état de droit et de la liberté d’expression : c'est tout ce qu'ils ont en guise de démocratie. Bref, aussi violent et radical qu’il soit, le mouvement de Hong Kong s’inscrit à rebours de cette voie illibérale, où règne l’inversion des valeurs et la distorsion du vocabulaire, où les premiers à s’exprimer au nom du peuple, de la liberté et de la démocratie sont aussi les premiers à s’efforcer d’antagoniser la société, de s’attaquer aux médias, à la justice et aux élus. En fait, la différence fondamentale entre les parapluies et les gilets, c’est que le peuple de Hong Kong connait le sens des mots quand il évoque la démocratie et la dictature. Il sait aussi qui sont ceux qui tordent les mots : il lui suffit pour cela de regarder de l'autre côté de la frontière. Ci-dessous, une petite leçon de novlangue : Le China Daily est le principal journal Chinois en anglais. Et vous aurez aisément reconnu ce pays qui fait tellement de progrès sur les droits de l’homme : c’est celui qui interdit les partis et les syndicats et n’organise pas d’élections libres, qui emprisonne un million de Ouighours, fait disparaitre purement et simplement les opposants, contrôle totalement tous les médias, incite les universitaires à démontrer avec obstination les bienfaits des politiques publiques, manipule les statistiques, interdit les réseaux sociaux et les sites qui n’acceptent pas que l’état puisse accéder librement à leurs serveurs, a réussi à effacer jusque des mémoires individuelles le massacre de milliers d’étudiants par l’armée, utilise des millions de caméras et d’outils numériques pour contrôler les faits et geste de tous les citoyens, réserve les promotions dans l’administration et les entreprises publiques à ceux qui étudient assidument les discours du leader…
Voir les jeunes Honkongais refuser férocement ce qui leur est promis, nous rappelle que la démocratie et la liberté sont des biens précieux sur lesquels il faut veiller sans discontinuer. Dans le même mouvement, cela incite, toujours plus, à ne pas crier à la dictature à tort et à travers, à regarder avec beaucoup de méfiance ceux qui ont tendance à en appeler à un « pouvoir fort » (qu’il soit dans les mains d’un homme providentiel ou le fait d’une dictature du « peuple »), à savoir qu’aller régulièrement aux urnes ne suffit pas à faire une démocratie, et à ne pas confondre la contradiction avec la dictature de la pensée et la justice avec l’absence de droit. Surtout, cela nous rappelle que ceux qui dévalorisent les mots sont les alliés objectifs de ceux qui les manipulent sciemment. Quand un responsable politique occidental crie à tort et à travers au procès politique, quand un autre nous explique qu'on vivrait en dictature au prétexte qu'on-ne-peut-plus-rien-dire, et que les sbires d'un troisième vont à leurs heures perdues casser du manifestant, le travail a priori ardu des journalistes du China Daily devient soudainement un peu plus facile et l'avenir des hongkongais un peu plus sombre.
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2019, année de coupe du monde de rugby ! Bien évidement, nous ne pouvions pas passer à côté de cet événement majeur. Bon, si, en vrai, on aurait très bien pu (dû ?) le faire. Mais le fait est que le rugby a soudainement pris une place non-négligeable dans notre quotidien. Cette passion nous est venue par hasard : au mois de juin dernier, le lycée français de Hong Kong a lancé un appel à ses élèves de CM et 6e pour constituer une équipe mixte de rugby à 7 afin de participer à une compétition entre différents lycées français d'Asie, en marge de la coupe du monde... à Tokyo (oui, oui, un petit projet pédagogique, en toute simplicité).
Entrainée par une copine, et sans doute excitée à l'idée de partir en voyage sans parents, Avril s'est dit que oui-pourquoi-pas. Je vous passe les détails de la sélection des joueurs-ses, des entraînements et de cette aventure nippo-rugbistique qui feront l'objet d'un autre billet de blog. Mais une des conséquences, c'est qu'Avril devait se mettre un peu à niveau et que Ulysse s'est dit que courir dans tous les sens et rentrer dans les autres, ça semblait sympa. L'adage préféré des familles nombreuses étant que quand il y en a pour 2, il y en pour 3, Sandra a fini par tous les inscrire au rugby. Les voilà donc enrôlés chez les Tigers, et astreints aux entrainement hebdomadaires... tous les dimanches matin, dès 8h30. Dans un vieux réflexe, sorti sans doute du fin fond de notre cerveau reptilien façonné à l'époque où nous n'avions pas d'enfants, notre première réaction a été de se dire "8h30 ?? Le dimanche ??". Mais on est vite revenus à la triste réalité : de toute façon, nos enfants se lèvent toujours avant 7h, qu'il y ait école ou non. Les entrainements du dimanche matin, c'est donc pas trop contraignant. Et pourtant, les deux premiers ont eu lieu sous une chaleur écrasante et le dernier a démarré par une pluie tropicale surréaliste. Mais, pour l'instant, personne ne se plaint. Il faut dire que, pour les parents, finalement, c'est plutôt bien. Un seul peut embarquer les trois, s'installer dans un coin avec un bouquin, et laisser l'autre parent tranquille pour toute une matinée. Et pour les enfants, c'est plutôt sympa. Il faut voir que le rugby, à Hong Kong, c'est un truc assez sérieux, héritage colonial britannique et forte population australienne oblige. Un des événements culturels majeurs ici c'est le tournois des Sevens (du rugby à 7), qui est une date importante du calendrier mondial de la discipline. Il y a aussi beaucoup d'équipes aux quatre coins du territoire et on voit très souvent des gamins ou des jeunes - et notamement beaucoup de filles - allant ou revenant de leurs entrainements. L'entrainement dominical des Tigers vaut le coup d'oeil. On est à King's Park, un ensemble de terrains un peu en hauteur et donc avec une vue assez sympa. Le dimanche matin, c'est un entrainement reservé aux enfants. Mais, des enfants, il y en a plus d'une centaine ! Tous en jaune et noir, équipés de protège-dents, et répartis par groupes d'age, sur 4 terrains. Ils sont encadrés par des coachs bénévoles. Souvent (très) ventripotents, ils sont 3 ou 4 par groupes et font répéter les gestes techniques : passer, esquiver, plaquer, tomber, libérer le ballon, le protéger, pousser, etc. L'ambiance est bonne, détendue, mais c'est assez sérieux et intensif, même pour les U-7 (under-7) de Pierre. Il paraît qu'il y aura bientôt des compétitions avec les autres clubs, histoire de se frotter un peu aux Pirates de Discovery Bay, aux Sandy Bay de HK University, aux Stingrays de Sai Kung et aux Valley Fort de Stanley. Vu la taille des clubs, il paraît que c'est une foire bigarrée indescriptible. Nul doute que, cette année, les U-7, U-9 et U-10-girls vont faire sauter le panneau d'affichage. Go Tigers ! Pierre est enfin rentré dans la cour des Grands avec le CP. Et pas l'importe quel CP, la classe de CP bilingue ce qui veut dire qu'il a convaincu les enseignants de son potentiel dans les deux langues. Il se retrouve avec la plupart de ses bons copains de l'année dernière. Il y a même deux gamins qu'il connaît depuis la petite section des petits lascars, dont son copain Léon, japono-belge. C'est le seul en tenue de sport sur la photo. L'année a commencé à toute vitesse, avec des tonnes de cahiers dans les deux langues. Normalement les journées alternent français-anglais sur la semaine mais Pierre a toujours un peu de mal avec les jours de toute façon et donc se trimballe l'ensemble de ces affaires dans son maintenant gros cartable.
Il a des devoirs avec relecture de fiche de mots et hélas, il faut bien se rendre à l'évidence, il ne comprend rien du tout: l i ca fait li. Ah ok et donc l i ca fait? silence C'est pas gagné! Mais bon avec Raphaël, Amaury, Léon à rejoindre le matin, il ne se fait pas prier pour aller à l'école. C'est déjà cela. Ca chauffe à Hong Kong ces jours-ci. Après des mois de protestations diverses, Carrie Lam a finalement décidé de retirer définitivement la loi d'extradition (the "evil bill"). Trop tard, trop peu répondent les manifestants qui ont maintenant accumulé quatre autres revendications majeures : une commission d'enquête sur les violences policières, l'abandon des poursuites pour "émeutes" (cette qualification change tout en termes de risque pénal), l'amnistie des manifestants pacifiques, et la désignation des dirigeants au suffrage universel (on peut rêver...). Entre temps, la tension policière s'est nettement renforcée, avec l'interdiction de tout rassemblement politique (ce qui conduit les manifestants à l'illégalité ou à jouer avec les mots en organisant des rassemblement religieux), des forces anti-émeutes qui occupent les stations de métro et les lieux clés, le filtrage strict des accès à l'aéroport, la fermeture de lignes ou stations de métro, et des épisodes de matraquages plus ou moins aléatoires. C'est un peu difficile maintenant d'avoir de grandes manifestations de masse, mais les protestations continuent, sous diverses formes : - Des échauffourées sporadiques - Des démonstrations d'élèves et étudiants devant les écoles et universités (notamment des chaines humaines de lycéennes, vêtues de leurs uniformes surannées d'école catholiques... et de masques à gaz). - Des cris et slogans lancés tous les soir à 22h depuis les fenêtres des appartements (c'est assez étonnant ces hurlements en cantonais venus de nulle part qui résonnent en pleine nuit entre les tours d'habitation). - Les fameux "Lennon walls". - Et les réseaux sociaux qui bruissent de rumeurs. Le truc bien avec ce mouvement largement animé par les jeunes, c'est que c'est très créatif. Notamment, comme pour un bon vieux mai 68, les étudiants des beaux arts et tout ceux qui ont un peu de talent produisent des affiches très originales qui finissent sur les Lennon walls ou les réseaux sociaux. Voici un aperçu des meilleures production qu'on a récupéré sur les comptes Twitter que l'on suit un peu (enfin surtout Sandra, qui s'enfonce chaque jour un peu plus dans les tréfonds du web protestataire). Les sources d'inspiration sont multiples mais il y en quelques unes qui dominent largement. 1- Les mangas japonais 2- Les codes graphiques traditionnels Chinois en tout genres (Art traditionnel chinois, art de propagande maoiste, art populaire). La dernière des quatre images ci-dessous s'inspire des calendriers, très populaires, qu'on trouve partout à Hong Kong et l'affiche, un peu art déco, en tête de ce billet détourne les codes des affiches publicitaires très en vogue avant-guerre, de Shanghai à Hong Kong. 3- Le MTR. Beaucoup d'affiches détournent la charte graphique du Métro de Hong Kong (le MTR). Sans doute parce que c'est quelque chose de typiquement Hongkongais, identifiable par tout le monde et donc facile, efficace et amusant à détourner. Mais aussi parce que le MTR a, à plusieurs reprises, tout bonnement fermé des stations et lignes à la demande (voire en anticipant les demandes) de la police. Cela a exacerbé le sentiment que le MTR, si présent dans la vie quotidienne et qui fait plutôt la fierté des Hongkongais, est à la botte du pouvoir. Enfin et surtout parce que pas mal d'actions ont eu lieu dans le métro ces derniers temps, dont certaines très violentes qui ont marqués les esprits. On a eu, au mois d'aout, à la station de Yuen Long, une attaque de manifestants par quelques dizaines de gros bras de la mafia. Plus récemment, la station Prince Edward a été le terrain d'un coup de force des policiers (les "Popo"), qui sont entrés dans les wagons pour matraquer et gazer plus ou moins indifféremment tout ce qui se trouvait là. 4 - Les slogans et codes propres au mouvement. Les manifestations sont aussi très codifiées. Les manifestants sont souvent habillés en T-shirts noirs, qui s'accordent harmonieusement avec les casques jaunes et les masques à gaz. On retrouve tout cela sur les posters. On voit aussi beaucoup de parapluie, car c'est un accessoire utilisé par les manifestants pour se protéger des gaz lacrymogènes et de la vidéosurveillance, mais surtout car c'est un rappel des grandes manifestations de 2014, entrées dans l'histoire comme le "mouvement des parapluies". Cette année, deux slogans font florès : "A revolution of our times" et "Be Water" (une référence à Bruce Lee, suggérant qu'il faut développer un mode d'action fluide et percutant). Ca sonne bien, et c'est décliné sous toutes les formes. 5- La France ! ... à moins que ce ne soit Broadway. Les manifestants chantent volontiers la chanson "Do you hear the people sing", tirée de la comédie musicale, les misérables. Un truc, forcément repris dans l'iconographie du mouvement avec, par exemple, cette jolie référence à Delacroix (ci-dessous), sans sein à l'air, parce que, bon, on est à Hong Kong tout de même. Le choix de la référence n'est pas mauvaise. On est, somme toute, assez proche de la révolution de juillet : pour la défense de quelques libertés fondamentales et d'un semblant de représentation démocratique, plus que pour un vrai changement de régime et encore moins pour un changement de société. Le drapeau sur la barricade (ci-dessus) est celui de Hong Kong, mais en noir plutôt qu'en rouge. Le jaune était la couleur de la révolution des parapluies et le noir est définitivement celle d'aujourd'hui. Tout sauf le rouge ! Il ne viendrait à l'esprit de personne de brandir un drapeau rouge ; on est bien dans une révolte de jeunesse, mais pas dans un remake de mai 68 : les maos - les vrais -, c'est ceux d'en face. Et voilà le diaporama de notre petite collection. |
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