La nouvelle loi sur la sécurité nationale est entrée en vigueur le 30 juin dernier. L'impact sur l'ambiance a été immédiat et étonnamment visible. La loi a été écrite directement à Pékin et elle est l'un des meilleurs exemple d'une spécificité du savoir-faire législatif du parti communiste chinois: elle est incroyablement imprécise. Ce flou est totalement volontaire. Par exemple, jusqu'au moment de sa promulgation, personne ne savait quels seraient les contours exacts de la loi (quels "crimes" seraient visés, y aura-t-il des peines de prison à vie, sera-t-elle rétroactive?...). Et une fois promulguée, les hongkongais n'étaient pas vraiment avancés : l'encouragement à la sécession, à la subversion, au terrorisme et à la collusion avec les pays étrangers sont punis, éventuellement d'emprisonnement à vie. Mais rien ne définit précisément ces notions. Crier "Free Hong Kong", est-ce un appel à la sécession ? Ecrire une tribune pour demander que les pays démocratiques émettent des protestations, est-ce de la collusion avec des puissances étrangères ? Lancer une poubelle sur un CRS pendant une manif, est-ce du terrorisme ?, etc. Rien non plus n'est dit sur la question de la rétroactivité de la loi, ni dans un sens, ni dans l'autre. La loi prévoit aussi que certains crimes commis à Hong Kong pourront être jugés en Chine, éventuellement à huis clos. Mais quels crimes ? Comment ? On n'en sait rien. Ce flou est bien pratique. Il permet aux autorités chinoise d'interpréter la loi comme bon leur semble. Pour punir un opposant qui aurait tenté de jouer avec les lignes, il suffit de changer les lignes pour qu'il se retrouve du mauvais côté. Dans le même temps, cela permet de dire que cette loi, bien sûr, n'empêche en rien les activités économiques, la liberté de parole, la liberté de la presse... puisque rien dans le texte ne le dit. On peut aussi affirmer que cette loi n'est pas si différente de beaucoup de textes en vigueur dans les pays démocratiques. Ce n'est assurément pas faux si on prend le texte au pied de la lettre (partout le terrorisme, l'espionnage, l'atteinte à la sécurité de l'état sont punis sévèrement). Mais c'est oublier justement tout ce flou qui ne permet aucune assurance et aucun recours. Le flou crée de l'incertitude, l'incertitude crée de la peur, la peur crée de l'auto-censure, et on gagne à tous les coups : les contestataires ont peur et se taisent, sans qu'on ait besoin de sortir la matraque. Cela permet de dire que c'est bien les gens qui ont décidé eux-même de cesser de critiques, que donc la loi n'est pas bien sévère, que tout cela est très respectueux des libertés individuelles et que les gens étaient simplement manipulés et désinformés par une poignée d'exaltés mal intentionnés. Un petit exemple ? Aujourd'hui Erick Tsang, l'un des haut responsable du gouvernement de Hong Kong, a donné une interview pour dire, en toute tranquillité, que ceux qui organisent et participent aux primaires visant à élire les candidats du mouvement pro-démocratie aux élections de septembre prochain pourraient être susceptibles de violer la nouvelle loi. En effet, si ces primaires ont pour objectif de gagner une majorité au parlement pour des député qui veulent voter contre la loi de finance annuelle, cela pourrait s'apparenter à une volonté de sécession, ce qui est punissable. En gros, il y a bien des élections libres, mais si on se présente, fait campagne ou vote pour quelqu'un qui, une fois élu, va voter contre le gouvernement, on pourrait aller en prison. Mais notez bien tous les conditionnels et prenez donc garde à ne pas y voir une atteinte à la démocratie : tout cela n'est pas du tout certain et sera laissé à l'appréciation des juges qui sont chargés de faire appliquer la loi. L'une des difficultés, est en effet de faire coexister cette loi avec le système juridique de Hong Kong, inspiré de la common law anglaise. Ici, ce sont les juges qui précisent les loi au fil de leur décisions. Il faut donc s'attendre, à l'avenir, à quelques passes d'armes entre les autorités et le système judiciaire. C'est un sujet délicat car le système judiciaire de Hong Kong, de part son indépendance et sa fiabilité, sont la garantie de l'état de droit qui a fait la fortune de Hong Kong. Si les investisseurs internationaux acceptent de placer leurs billes à Hong Kong, d'envoyer des expat et d'organiser des meeting avec les grosses huiles des groupes multinationaux, c'est qu'ici on peut avoir confiance en la loi. Jusqu'à maintenant, pas de risque d'expropriation, pas de crainte de corruption, pas de peur d'être soudainement arrêté pour une raison obscure. Enlever tout cela, c'est bien organiser la fin du "deux système" et c'est ruiner Hong Kong. Toute la semaine dernière, et encore maintenant, la ville s'est adaptée à ce flou et a commencé à apprendre à marcher dans le brouillard. Des juges sont intervenus pour interpréter la loi, aussitôt contredits par le gouvernement. Les juristes ont épluché les textes et ont trouvé des différences notables entre les versions chinoises et anglaises (notamment sur la liberté académique dans les universités). Au-delà même d'ajouter encore au flou, cela a soulevé une nouvelle polémique car, en affirmant que la version chinoise devait prévaloir, le gouvernement enfreint la constitution qui garantit que les deux langues sont officielles et d'importance égale. Lors des manifestations du 1er juillet (fête nationale, commémorant la rétrocession), la police à brandi une nouvelle banderole prévenant les manifestant que les slogans qu'ils chantaient "pouvaient" tomber sous le coup de la nouvelle loi, avant d'en arrêter une brochette. Le gouvernement a demandé aux bibliothèques municipales et des écoles de retirer les ouvrages susceptibles de contrevenir à la nouvelle loi. Il a aussi affirmé que le principal slogan des protestations de 2019-2020 "Liberate Hong Kong, A revolution of our Time" était un appel à la sécession et risquait de tomber sous le coup de la loi. Tout cela se fait à grand renfort de "susceptible de", "sans doute", "peut-être"... Il va être instructif de voir comment les juges vont traiter ces cas quand ils arriveront devant leurs tribunaux. Les gens doivent donc s'adapter à ce nouveau régime de la peur. Les comptes facebook se ferment, les tweet sont supprimés en masse. Les gens quittent WhatsApp pour se réfugier notamment sur signal.org (je conseille vivement cette messagerie en open source qui marche super bien). Les principaux partis protestataires se sont dissous, pour tenter de passer sous les radars. Les publicités qui remplissent les bandeaux des sites internets ne proposent plus que des VPN (pour garantir un respect de la vie privée en ligne et contourner la censure) ou des golden passports (la destination à la mode, c'est le Portugal : l'immobilier n'est pas cher, et il suffit d'acheter un appartement pour obtenir un passeport Shengen au bout de quelques années). Et puis les protestataires ont tenté de s'adapter. Comme brandir des drapeaux avec le slogan "Liberate Hong Kong, A revolution of our Time" risque de leur coûter la prison, ils ont commencé à diffuser des versions, où les 8 caractères chinois ont été remplacés par des signes abstraits. Ils ont aussi remplacé les fameux Lennon Wall (ces murs couverts de post-it où chacun pouvait écrire un petit message de protestation) par des Lennon Wall muets faits de post-it vierges. Le week-end dernier, un petit groupe c'est réuni dans un centre commercial pour brandir en silence des pancartes entièrement blanches. Ils ont été embastillés quand même... au nom de la nouvelle loi. On attend de voir comment les juges font se débrouiller avec ces cas. Avec tout ça, le coronavirus revient en force depuis deux jours. Vivement qu'on parte...
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