Depuis le mois de juin, tous vos médias préférés font une concurrence sévère à ce blog en décrivant quotidiennement les tribulations de la société Hongkongaise. Il est donc temps pour nous aussi de faire un point sur les manifestations qui agitent la ville, histoire de répondre à tous les messages que nous recevons de France nous demandant si ça va, si on est en sécurité, si on peut vivre et travailler normalement, etc. Tout d’abord, un petit rappel des faits pour ceux qui vivraient dans yourte sans internet. Au printemps, le gouvernement de Hong Kong, dirigé par Carrie Lam (la « chief executive »), a décidé de passer une loi d’extradition vers plusieurs pays. Le fait divers qui a officiellement motivé cette décision, c’est le cas d’un Hongkongais qui a tué sa petite amie lors d’un voyage à Taiwan avant de revenir se réfugier à Hong Kong. En l’absence d’accord d’extradition, impossible de le renvoyer à Taiwan pour être jugé. Le hic, c’est que le projet de loi devait aussi ouvrir aux extraditions vers la Chine. Et, là, ça coince. Les défenseurs des droits de l’homme ont craint qu’Hong Kong ne soit plus un havre pour les dissidents Chinois et, plus généralement, pour la liberté d’expression. Il faut voir qu’on est dans un moment de montée des inquiétudes sur ce thème. Le gouvernement Chinois, ces dernières années, fait monter la pression sur toutes les sources de critiques, en Chine, mais aussi à l’étranger et bien sûr à Hong Kong. Cela passe, par exemple, par la contestation systématique de tous les discours qui ne correspondent pas aux points de vue officiels (comme n'importe quel discours, mais aussi dessin, design de site internet ou carte géographique qui laisserait entendre que Taïwan ou Hong Kong ne font pas partie du territoire Chinois ou auraient un statut autre que celui de simple province). A Hong Kong, cela s’est traduit aussi par l’enlèvement pur et simple de plusieurs libraires et éditeurs de textes dissidents, ou encore par le refus de renouveler le visa d’un journaliste du financial times qui avait eu le malheur d’organiser une réunion avec le dirigeant d’un micro-parti indépendantiste. Mais les dangereux droidelhomistes n’ont pas été les seuls à tirer la sonnette d’alarme contre la loi d'extradition. Les « milieux d’affaire » (si puissants à Hong Kong) ont aussi craint que ce soit une épée de Damocles sur la tête de tous ceux qui font des affaires en Chine, où il est si facile et si courant d’embastiller des hommes d’affaires sur des accusation de corruption. Bref, Carrie Lam a touché un point sensible. Il ne s’agit pas d’une atteinte à la démocratie, concept que le territoire n’a jamais vraiment expérimenté et qui n’est pas une revendication de tout premier plan au sein de la population. Mais c’est pire : c’est une atteinte à la liberté de faire du business, à la liberté d’expression et à l’état de droit, qui sont, eux, des principes qui ont toujours fait partie de l’ADN du territoire et l’une de ces spécificités dans le monde Chinois qui fondent le sentiment d’identification de la population. Il s’agit bien d’une crise identitaire. La plupart des manifestants ne veulent pas d'ailleurs pas de changement, mais juste le statut-quo ante (que « Hong Kong reste Hong Kong ») et de pouvoir clamer leur spécificité et leur fierté d’être hongkongais. Enfin, c’est aussi une crise générationnelle. Certes d'une façon moins prononcée que la « révolution des parapluies » de 2014 (mouvement qui a touché essentiellement la jeunesse qui réclamait avant tout plus de démocratie), mais tout de même. On s’en est fait parfois l’écho dans ce blog, mais rappelons que la vie n’est pas facile pour hongkongais. Les inégalités sont criantes, le logement hors de prix, les temps de travail restent très longs, le système de santé est fortement inégalitaire, la pression scolaire est écrasante, le système de retraite presque inexistant et la société est très conservatrice. Bref, la vie est dure et beaucoup de jeunes n’ont aucun d’espoir d’amélioration et sont résignés à avoir une carrière longue et pénible, à devoir supporter la charge de leurs parents vieillissants et à renoncer à avoir un ou plusieurs enfants faute de pouvoir les loger décemment et de leur payer les « bonnes écoles ». Ajoutons à cela l’échec cuisant de la « révolution des parapluies » qui a laissé beaucoup d’amertume chez les jeunes, ravivée l’hiver dernier lorsque les condamnations sévères ont fini par tomber sur les principaux leaders, et le compte est bon : il suffisait de discuter un peu avec quelques étudiants pour comprendre qu’ils avaient une grande envie de revanche et, littéralement, presque rien à perdre. Voilà pour la situation de fond qui a amené à des manifestations monstres et pacifiques au mois de juin. Elles ont été suivies par des mouvements plus violents, encouragés par l’obstination du pouvoir exécutif, qui s'est retrouvé coincé par la pression de Pékin et la volonté de ne pas perdre la face (oui, ce truc de "perdre la face", ça sonne comme un cliché sur le caractère chinois, mais pourtant des exemples nombreux ne cessent de nous en démontrer l’importance réelle). Bref, ça chauffe, d’où les images renvoyées par les télés du monde entier et les questions du type : « ça va ? c’est pas trop dangereux ?». Pour nous, qui avons vécu de loin la révolte des gilets jaunes, on se retrouve dans un jeu de miroir. A la question : « c’est pas trop dangereux, toutes ces manifestations ?», notre réponse favorite est « pas plus que pour vous avec les GJ ». Les manifestations (aussi massives qu’elles puissent être) tout comme les échauffourées (aussi impressionnantes qu’elles puissent être) sont bien évidement très localisées. Et comme n’importe quel français vivant à la fois loin d’un rond-point et des Champs Élysées, on vit totalement normalement. Comme pour les gilets jaunes, les manifestations occupent toutes les conversations et tout l’espace médiatique mais, à moins d’y participer directement, on ne voit et ne ressent rien ou presque. Plus encore, on en voit sans doute beaucoup moins que les français pendant l’hiver en jaune. En effet, on est à Hong Kong, et même si le territoire a connu des émeutes violentes tout au long de son histoire (pendant l’époque coloniale comme après), on est tout de même dans une société fondamentalement pacifique où tout désordre public est très mal vu. Ici, la perception de la violence n’est pas tout à fait la même que dans le pays de Robespierre. Crier et gesticuler en public est perçu comme un outrage sévère. Taggez un mur, jetez sur la voie une poubelle ou une barrière et vous passez directement du côté de l’émeute. Balancez une bouteille sur des CRS en armure et vous êtes à la limite du terrorisme. Alors oui, certaines manifestations sont violentes, avec gaz lacrymogène et tout le bazar mais c'est généralement à peu près du niveau d'une manif un peu chaude d’agriculteurs, d’étudiants ou de chauffeurs de taxi bien de chez nous. Ici, pas de gros tracteurs ou de camions pour tout bloquer, pas (ou presque pas ?) de manifestants armés de matraques ou autre, et pas de casseurs : au pire, les manifestants s’en prennent à la police et aux symboles du pouvoir, mais en aucun cas aux biens publics (métros, péages, mobilier urbain) et encore moins aux biens privés (vitrines, etc). Pour nous, les seuls signes évidents d’une tension ont été :
Sinon, on s’est quand même retrouvé deux fois dans une manif. La première, c’était en juin, au tout début du mouvement. En sortant d'un spectacle, Sandra et moi avons été jeter un œil à un rassemblement sur la voie rapide à proximité d’Admiralty où se trouve le siège du pouvoir. C’était assez étrange. Il y avait beaucoup de monde, et on n’a pas pu s’approcher de la tête de la colonne. Mais, là où on était, tout était extrêmement calme et pour tout dire étrangement silencieux. Il y avait une flopée de gens, plutôt jeunes, qui attendaient tranquillement que quelque chose se passe, ou pas. Presque personne ne parlait, beaucoup regardaient leur téléphone. Le truc spécial, c’est le niveau d’organisation. Des gens distribuaient des masques, d’autres avaient des stocks de bouteille d’eau, d’autres pouvaient sur simple demande vous envelopper les bras de films plastiques pour vous protéger des brulures causées par les lacrymo, etc. Tout cela vous était proposé par des jeunes gens souriants et aimables, comme des hôtesses d’accueils distribuant des goodies à l’entrée du salon de l'auto. Plutôt amusant ce contraste entre l’ambiance paisible, silencieuse et amicale et ces préparatifs guerriers… Mais comme il ne se passait rien, on est vite reparti (et d’ailleurs, il ne s’est rien passé de toute la nuit… ce n’est que deux jours plus tard que les manifestants ont envahi le parlement). La deuxième fois, c’était en famille, à l’aéroport lors de notre départ estival pour la France. Le terminal des arrivées était occupé par quelques centaines de manifestants, faisant un sit-in tranquille accompagné de slogans (« free Hong Kong ! »). Là encore, pas de violence, ni même de tension. Plutôt une ambiance bon enfant accompagnée par un soutien visible des passants. Et maintenant ? L’enjeu des prochains jours, pour nous, c’est la rentrée universitaire. Y aura-t-il des manifs sur les campus, des occupations, des boycotts de cours ? La réponse la semaine prochaine.
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